dimanche 9 janvier 2011

Elle, par bonheur et toujours nue de Guy Goffette

"On ne sait pas ce qu'on peint, ce qu'on écrit. On n'en connait pas le secret d'avance. On se fie aux couleurs, aux lignes, aux mots, mais ce qu'on veut faire reste caché. Ce n'est bien plus tard que le sens tout à coup apparaît".







Nu à contre-jour
Huile sur toile
124,5 x 109
(ca. 1908)
L'oeuvre est apparue sous le titre "L'Eau de Cologne" quand elle fut exposée en 1909 à la Libre Esthétique, et qu'elle trouva un acquéreur en la personne d'Octave Maus, promoteur de ce mouvement. (d'après Anne Goffart, in 'Musée d'Art Moderne. Oeuvres choisies')

***


"J’espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillon."
Pierre Bonnard


Mon tout premier livre de l'année 2011, un roman sur l'oeuvre de Pierre Bonnard inspiré par le coup de coeur/coup de foudre de Guy GOFFETTE devant une toile du peintre : Nu à Contre Jour.

"C’est au détour d’une des salles où la chaleur me poursuivait -et je n’arrêtais pas de m’éponger le cou, le visage, les mains- que je la vis. Disons, pour être juste, que je vis une jeune femme venir à moi dont j’ignorais tout, sinon qu’elle était nue, sinon qu’elle était belle, et son éclat, d’un coup me rafraîchit jusqu’au ventre. Elle tourna tout son corps lentement vers la lumière d’une grande baie où tombait la neige d’un rideau de mousseline et, dans ce mouvement, toute cambrée à contre-jour, elle m’aspergea, comme une brassée de fougères mouillées, du parfum de sa chair et me fit défaillir. Je dus m’asseoir, l’air hagard et comme frappé d’insolation. D’un coup, l’eau de Cologne emplit toute la pièce et se mit à ruisseler sur mon cou. "


En ce qui me concerne, c'est la poésie de Guy Goffette qui est venue telle les ailes d'un papillon se poser sur mon coeur. Captivée par la petite musique de ses mots, j'ai épousé l'ombre de Guy parti à la rencontre de Marthe la future femme de Bonnard.

Mais au fil des pages, Guy Goffette épouse le quotidien de Pierre et nous brosse le portrait de ce peintre et de sa muse. Pas besoin d'être expert(e) du mouvement nabi, il suffit d'ouvrir peu à peu les fenêtres de ces intérieurs dont tous les jardins vont à la mer.

La rencontre débute comme un conte de Noël : Marie a quitté le Berry où elle était fille de ferme. Attirée par les lumières de la capitale, elle s'est retrouvée à travailler debout dans une pièce sombre à enfiler des fleurs artificielles sur des tiges en fer .
Pierre est inscrit pour faire plaisir à sa famille à la faculté de droit mais pour son plaisir à l'académie Julian. Ce qui l'attire c'est non pas l'art en lui même mais mener une vie d'artiste, échapper à une vie réglée de papier à musique.
"Tout plutôt qu'une vie en pot, l'amour à la petite semaine, les voyages en pantoufles. D'ailleurs, il ne manque pas de ressources : il a deux yeux, deux jambes et Paris."

Marie qui manque de se faire renverser en tentant de traverser le boulevard Haussman et qui n'entend pas la corne du Tramway. Pierre qui se précipite à la rencontre de cette petite chose fragile et gracile en robe rouge. Pierre est mis comme un Monsieur et Marie se présente comme la fille naturelle d'un aristocrate italien. Marthe de Méligny, "c'est un nom d'aristocrate, un nom de courtisane, ce n'est pas un nom".
Pierre est sous le charme et il a envie de croire tout ce qu'elle raconte. Lui l'introverti va ouvrir dans le champ lumineux des couleurs, toutes les fenêtres possibles sur la beauté de Marthe...Au vrai Marthe sera toute sa palette. Nous sommes en 1893. "D'emblée Marthe accepte de ne jamais poser pour Pierre, mais de vivre à ses côtés. Simplement. Amoureusement."

Avant Marthe, il n'y a pas de nu dans le pinceau de Pierre. Il a peint sa famille et les servantes mais aussi les cousettes, les blanchisseuses, les bourgeoises chapeautées et les prostituées tuberculeuses.
"On se mettra tout nu demain, quand on sera beau, quand l'amour sera. Voici Marthe et c'est demain."


À l’inventaire de son œuvre, on dénombre pas moins de 146 tableaux et quelque 717 dessins dont Marthe est modèle ! Un festival d’images inventives et lumineuses.

(...) nue dans les carnets, dessinée dans l'air, perdue dans les arbres, caressée dans l'eau,
Marthe trente-deux ans nue, la tête baissée ou les yeux clos, gardant son secret,
dérobant Marie.

Mais la terre tourne et les passions se dérobent. Pierre n'est plus surpris par le corps de Marthe dont il peut dessiner les contours, les yeux fermés. Pierre va voyager mais ne reviendra avec aucune image. Alors il va rencontrer d'autres modèles qui vont se succèder dans le nouvel atelier : rue de Douai puis quai Voltaire. Lucienne Dupuy de Frenelle et Renée Monchaty apparaissent dans un coin de la fenêtre de l'univers de Bonnard. Est ce tout simplement un appel d'air contre la monotonie ? Pierre reviendra dans les bras de Marthe tel un aimant.
"Pierre est revenu auprès de Marthe, et c'est comme si rien n'était. Car il n'est rien en effet pour lui en dehors de la peinture. Que le jour soit un lourd tissu de pluie, que la passion l'embrase, que le monde s'écroule, pourvu que Marthe soit là, l'oeuvre est sauve. Marthe est le centre et le pivot, elle prend toute l'ombre sur elle pour que Pierre y rafraîchisse le feu de ses couleurs..."
"La couleur est une femme qui se gagne lentement, regard après regard, caresse après caresse. On sait tout de suite que ce sera long, un combat sans cesse recommencé avec la lumière. (..)
Car il s'agit maintenant de donner des voyelles aux couleurs et que la lumière chante, sur une partition sans fausse notes, pour l'oeil qui écoute et se tait"

Le 13 août 1925, Pierre épouse Marthe après 32 ans de vie commune.
"Marthe s'est rhabillée de rouge et Pierre la regarde avec des yeux tout neufs, comme cueillis du matin dans  un nid d'herbe blanche".
Pierre va aussi tomber de haut, il découvre la vérité sur le véritable patronyme de sa compagne. Marthe est Marie. Marie Boursin. Qu'importe Mme Bonnard a pris toute la place dans le tableau. Une fenêtre s'est fermée, une autre s'ouvre, celle d'un tableau qui laisse entendre que le mensonge de Marthe a laissé sa marque.


"Marthe pour tous, Marie pour lui seul, Marthe révélée, Marie refermée. Il n'y a pas de fenêtre innocente".*Tout comme Chloé* et son nénuphar qui pousse dans ses poumons, Marthe est de santé fragile. Elle a les nerfs à fleur de peau et une tubéreuse dans la poitrine qui lui mange l'air et la fait tousser.

Marthe a définitivement rejoint Marie le 26 janvier 1942. Sous le choc, les cheveux de Pierre ont blanchi. Sa vie est brisée et toutes ses fenêtres aussi...

"les larmes ont beau sécher, l'amour n'a pas de fin, et ce qui fut demeure dans la chambre d'à côté, fermée à double tour. Pierre en garde la clé dans sa veste, qu'il caresse comme un talisman avant de reprendre son travail."

L'écriture de Guy Goffette est magique. Elle se pose sur votre coeur et tout comme Rimbaud, il fait chanter les voyelles et donne la couleur aux mots...

Plusieurs lectures dans ce "Elle, par bonheur et toujours nue", un hommage au peintre,  mais aussi un hymne à la Femme mais comme le dit Claudel cité dans le livre : « Chut ! si nous faisons du bruit, le temps va recommencer. »

* Boris Vian L'Ecume des Jours
* page 118 Description du tableau .

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai approché l'œuvre de Pierre Bonnard en collaborant à un livre sur lui en 1987:
Ce livre s'intitule "Pierre Bonnard photographe".
Je pourrai vous raconter la suite...

Mary a dit…

Je viens de faire une recherche sur Internet. C'est effectivement un très beau livre. http://www.amazon.fr/gp/customer-media/product-gallery/2904057242/ref=cm_ciu_pdp_images_all)


Vous pouvez effectivement raconter la suite, c'est avec grand intérêt que j'en ferai sa lecture mais merci de vous présenter ;)

Amicalement MM